Un spray de kétamine contre la dépression et le suicide !

May 25, 2018 par

La dépression touche près d’une personne sur cinq en France, tandis que le suicide provoque un peu moins de 10 000 décès chaque année. La dépression et le risque suicidaire sont ainsi deux problèmes de santé majeurs dans notre société moderne. Un dérivé de la kétamine, une substance anesthésique, administré par voie nasale, pourrait contribuer à lutter efficacement contre ces deux fléaux.

Main tenant un spray de kétamine

Kétamine, eskétamine et dépression

Les troubles dépressifs majeurs constituent un important facteur de risque pour les conduites suicidaires. Cependant, les traitements antidépresseurs actuels restent parfois insuffisants pour soulager efficacement les symptômes dépressifs et réduire significativement le risque suicidaire, en particulier dans les situations d’urgence.

Dans ce contexte, les scientifiques s’intéressent de près à la kétamine, une substance utilisée comme anesthésique dans les anesthésies générales en médecine humaine et vétérinaire. La kétamine est administrée le plus souvent par voie intraveineuse. Les chercheurs ont développé une forme nasale de kétamine, l’eskétamine.

L’eskétamine agit sur des récepteurs des cellules nerveuses cérébrales. Elle a déjà fait l’objet de plusieurs études dans le traitement de la dépression et plusieurs essais cliniques sont en cours pour l’utilisation de l’eskétamine dans :

  • La dépression résistante aux traitements antidépresseurs ;
  • La dépression avec un risque imminent de suicide.

Aussi efficace que la kétamine contre la dépression et le risque suicidaire

Pour évaluer l’intérêt de l’eskétamine dans ce type d’indications, des chercheurs ont mené une étude sur 66 adultes, âgés de 19 à 64 ans, atteints de dépression et considérés comme à risque suicidaire imminent. Lors de leur inclusion dans l’étude, la totalité des participants présentaient des troubles dépressifs majeurs. Près de 70 % d’entre eux avaient des idées suicidaires sévères et plus de 50 % déclaraient que ces idées étaient récurrentes.

Les participants de l’étude ont été aléatoirement répartis en deux groupes :

  • Un groupe de 31 patients, recevant un placebo ;
  • Un groupe de 35 patients, traités par l’eskétamine intranasale à la dose de 84 mg, deux fois par semaine pendant 4 semaines.

Parallèlement, les traitements antidépresseurs étaient maintenus pendant toute la durée de l’étude.

Les résultats de cette étude ont mis en évidence une amélioration significative des symptômes dépressifs 4 heures après la première administration d’eskétamine ou de placebo. Cette amélioration restait significative après 24 heures, mais plus après 25 heures. L’effet de l’eskétamine était plus important que celui du placebo, mais cette différence n’était significative que 4 heures après l’administration du produit.

A l’issue de l’étude, à 4 heures, 21,2 % des patients du groupe eskétamine n’étaient plus considérés à risque de suicide, contre 9,7 % dans le groupe placebo. Ces chiffres étaient encore plus flagrants à 24 heures, avec 40 % dans le groupe eskétamine contre 6,5 % dans le groupe placebo.

Attention au risque de mésusage

Cette étude suggère que l’eskétamine intranasale serait aussi efficace que la kétamine intraveineuse. L’eskétamine exerce ainsi une action rapide et bénéfique sur les symptômes dépressifs et suicidaires. Elle pourrait se révéler intéressante dans les situations d’urgence, en complément des antidépresseurs classiques, qui agissent généralement après 2 à 3 semaines. Par ailleurs, elle pourrait améliorer la prise en charge des patients, qui répondent mal aux antidépresseurs existants.

Dans cette étude, l’eskétamine a été globalement bien tolérée par les patients, avec des effets secondaires observés mineurs. Pourtant, les résultats prometteurs de l’eskétamine sur la dépression et le risque suicidaire soulèvent un problème. En effet, la kétamine est parfois utilisée comme une drogue et peut ainsi entraîner une addiction.

Certains experts s’inquiètent ainsi du développement d’une forme intranasale de kétamine, qui serait disponible sous forme de spray. Si l’eskétamine poursuit son développement dans le traitement de la dépression et du risque suicidaire, la mise en place d’un cadre réglementaire strict pour sa prescription et sa délivrance sera nécessaire pour limiter les risques d’abus et de mésusage.

A ce jour, les chercheurs travaillant sur l’eskétamine envisagent une formulation en spray nasal à dose unique, qui serait administré uniquement sous la supervision d’un professionnel de santé dans un contexte médical précis. Ce médicament ne serait alors pas disponible en pharmacie. Des précautions qui devraient limiter les risques de mésusage, tout en offrant aux patients une nouvelle option thérapeutique contre la dépression et le suicide.

Estelle B., Docteur en Pharmacie

– Efficacy and Safety of Intranasal Esketamine for the Rapid Reduction of Symptoms of Depression and Suicidality in Patients at Imminent Risk for Suicide: Results of a Double-Blind, Randomized, Placebo-Controlled Study . Canuso, Carla M. and al. 2018. Am J Psychiatry.
– Can a Framework Be Established for the Safe Use of Ketamine ? Freedman, R. and al. 2018. Am J Psychiatry 175:7.
Estelle B.
Pharmacienne
Spécialiste de l'information médicale et de l'éducation thérapeutique du patient.
Passionnée par les domaines de la santé et de l'environnement marin.
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